Des
enfants maltraités à « Roméo et Juliette » de Shakespeare
En
2010, je me retrouvais dans le Morvan suite à la thèse d’Emmanuelle
Jouët, chercheuse en sciences sociales, pour travailler sur une
terrible histoire de maltraitance sur des mineurs qui dura 10 ans et
qui aboutit en 1911 à un procès à Avallon, où des adultes étaient
pour la première fois condamnés pour maltraitance.
Nous
avons joué la deuxième partie de la pièce « Les enfants des
Vermiraux » dans le tribunal d’Avallon où un siècle
auparavant avait eu lieu ce procès effacé de la mémoire collective
et qui ressurgissait grâce à cette création théâtrale.
(http://vermiraux.blogspot.fr/
+
article de Boris Cyrulnik)
Je
découvrais à travers cette thèse, qui devint un récit théâtral,
d’abominables abus d’adultes sur les enfants des Vermiraux à
Quarré les Tombes. Ont participé à cette création des jeunes d’un
collège, d’une école amateur d’Avallon, 5 détenus lors du
premier atelier mixte créé dans la prison de Joux la Ville, une
dizaine de jeunes du foyer la Maison d’Auxerre et d’un centre
éducatif. Nous avons joué 7 fois le spectacle, à Avallon, Quarré
les Tombes et dans la prison de Joux la Ville.
Par la
suite, le foyer la Maison comme le centre éducatif d’Auxerre ont
souhaité sur 2012-2013 renouveler leur collaboration et ont entraîné
avec eux d’autres foyers sur Auxerre, Coulanges… et le centre
éducatif renforcé de Gurgy avec lesquels nous avons créé des
courts métrages et des créations scéniques « De la scène à
l’image et les 7 péchés capitaux » Une centaine de jeunes a
participé à ce projet. La presse comme sur « les enfants des
Vermiraux » en a fait écho de belle manière.
(http://delascenealimage.blogspot.fr/)
En
2014, l’engouement des directeurs et des éducateurs de foyers, de
centres éducatifs, instituts thérapeutiques et des acteurs en herbe
nous a amené à nous lancer un nouveau défi artistique : la
création d’une œuvre théâtrale classique : « La
dispute.com » d’après Marivaux.
(http://la-dispute-com.blogspot.fr/)
Aujourd’hui
sur Nevers et sa région, nous souhaitons mettre en marche une
nouvelle aventure artistique aussi ambitieuse que les précédentes
sur plus d’un an avec des jeunes de centres sociaux, classe relais
de l’Education Nationale, Institut thérapeutique, foyers, EPE,
Maison d’arrêt…
Il
s’agira d’une création
théâtrale, musicale et vidéo inspirée du « Roméo et
Juliette » de Shakespeare.
Nous comptons confronter ces jeunes parfois en errance, à ce texte
classique, tout en les ouvrant à une création contemporaine qui
leur ressemble où des libertés d’adaptation et d’écriture
seront prises. Ces jeunes suivront pendant plus d’un an des
ateliers d’art dramatique, de chant, de danse, vidéo, de
construction de décors et costumes avant les répétitions et jusqu’à la création finale. Ils découvriront pour la première
fois dans leur grande majorité le théâtre et les tournages. Ils
aborderont une culture plus traditionnelle dans un mode ludique, une
nouvelle manière de s’exprimer, de prendre la parole pour mettre
de côté la violence qui les accompagne trop souvent, ils
deviendront des acteurs à part entière. Nous
ferons appel à leur exigence et à leur talent dans un cadre, à la
fois ouvert, mais très contraignant.
Lors
de ces créations scéniques, les jeunes retissent un lien avec la
société à travers l’équipe professionnelle et grâce à leur
investissement personnel. Pour certains, ce sera l’occasion de se
réconcilier avec leurs proches et leur famille qui auront un autre
regard sur eux, car ces projets changent aussi le regard de l’autre.
Ils retrouveront confiance, un certain calme, le travail de
mémorisation et de concentration, l’immobilité, le silence,
l’attente du public… qui les aideront à surmonter leurs
difficultés et leurs blocages. Leur parcours scolaire s’améliore
souvent durant cette période comme en témoignent les éducateurs et
les jeunes eux-mêmes. Le
théâtre est le lieu qui ne les montre pas du doigt dans leurs
échecs mais qui leur redonne le goût du travail personnel et en
groupe. Comme
ce fut le cas sur « La dispute.com » quelques uns
écriront des scènes, des poésies, des chansons pour cette nouvelle
création et d’autres découvriront que la lecture d’un livre
peut tout autant les distraire qu’une tablette internet.
Ce
texte qui met en scène deux adolescents parle d’amour, de
passions, de clans, de rivalités, d’exclusion… Ils se sentiront
concernés. Ces jeunes ignorent qu’ils sont amènes d’aborder la
complexité littéraire de Shakespeare, que les thèmes qui
traversent la pièce leur seront accessibles, mais pour cela il nous
faudra plus d’un an de travail en commun en partageant notre
culture théâtrale.
Leur
droit à la culture est un droit majeur,
car il leur permet d’avancer, d’exister, de se défendre, de
retrouver l’estime de soi, de progresser dans leurs études, de se
découvrir des talents et pour certains, dans leur futur, peut-être
un choix de vie ?
Nous
souhaitons les confronter à un vrai public divers et populaire, les
faire jouer dans de belles salles, leur offrir le confort de loges et
d’équipements techniques de qualité, accompagnés
d’une équipe de professionnels confirmée,
de la mise en scène en passant par le chant, la vidéo, la danse,
les décors, la peinture, les éclairages, les costumes, les
maquillages… C’est pour cette raison que nous comptons créer
« Roméo et Juliette »
dans un théâtre de Nevers
puis
dans d’autres salles en Bourgogne, voire dans d’autres régions
et à Paris dans un lieu prestigieux.
Nous
organiserons des projections de différentes versions cinéma de
« Roméo et Juliette » dont « West Side Story ».
Nous en profiterons pour débattre avec les jeunes sur le théâtre
de Shakespeare et les thèmes qu’il aborde, avec le savoir d’un
conseiller artistique passionné par ce type de rencontres.
Certains
participants dans les centres éducatifs, foyers… et dans la maison
d’arrêt de Nevers risquent d’être déplacés et donc de ne
pouvoir suivre les ateliers durant une année. Nous nous adapterons
pour que ces derniers apportent leur touche à la création finale,
soit par le biais des décors, de l’écriture de textes qui seront
insérés dans la création finale ou bien par des images filmées
comme lors de la création du chœur sous la direction d’Elise Gauthier-Villars et Vivianne Willaume. Des artistes des Tréteaux de France, direction Robin Renucci,
seront associés à ce projet pour la partie chant, chorégraphie,
concentration...
Elise Gruau, journaliste, est en
pourparlers avec France Culture pour la création de plusieurs
épisodes de documentaires radiophoniques.
Des artistes invités, Bibi Naceri,
Bruno Solo, Robin Renucci… engagés chacun dans des démarches
proches de notre projet présenteront leur travail suivi d’un
débat.
Entretien avec Boris
Cyrulnik
dans Les Cahiers scientifiques de PNRMorvan :
« L’expérience
de la production de la pièce des Enfants des Vermiraux mise en scène
par Serge Sandor, c’est une belle histoire et je suis convaincu que
c’est ce qu’il faut faire. Etre capable de jouer un évènement
qui a été traumatisant pour des individus, pour une communauté,
c’est ce qui permet de se décentrer de son histoire propre, de
cesser de ruminer, et de reprendre la maîtrise de soi-même. Quand
on rumine, on aggrave la blessure du passé, parce qu’on répète
et c’est la définition psychanalytique de la névrose, prisonnier
du passé. Quand on peut transformer la blessure en représentation
théâtrale on remplace la blessure en beauté : je redeviens maître
de mon monde, et moi qui ai été objet sexuel de l’agresseur, je
redeviens sujet de mon roman, alors que j’étais objet sexuel de
ces pulsions, c’est un changement de statut total qui peut s’opérer
très vite.»
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